ORIGINES PERSONNELLES ENTRE MÉMOIRE,
SOLIDARITÉ ET AVENIR
Corinne DAUBIGNY
Contrairement à la grande majorité des pays européens, la France admet l’effacement de l’identité des parents
d’origine, tant dans les pratiques de dons de gamètes que dans l’accouchement anonyme légalement organisé.
Seule une minorité de psychanalystes reconnaissent les risques liés à ces pratiques pour le devenir des personnes concernées.
L’impact d’une dimension républicaine hostile au « lien de sang » participe à cette résistance, sans
qu’on puisse écarter les rêves eugénistes que permettent les dons de gamètes anonymes.
Au moment où, pour lutter contre les trafics d’enfants
dans l’adoption internationale, la Convention internationale de La Haye préconisait le recueil de l’identité
des parents de naissance afin de s’assurer de leur consentement, la France renforça au contraire son dispositif en faveur
de l’accouchement anonyme.
Un mouvement social s’est néanmoins développé pour le
droit d’accès aux origines personnelles et contre la pratique de l’accouchement anonyme, composé de personnes
concernées (adultes nés sous X, pupilles de l’Etat, adoptés, mères d’origine ayant accouché sous X, et quelques
parents adoptifs), de chercheurs et de professionnels, mettant en œuvre des échanges nouveaux entre ces catégories de
personnes.
Il aboutit en 2002 à l’instauration d’un droit
« conditionnel » à l’accès aux origines, les parents de naissance pouvant déposer leur identité sous forme
de secret réversible; mais l’accouchement anonyme n’est pas aboli, et l’on peut craindre de nouvelles complications.
Dans le même temps l’opinion publique découvrit l’ampleur des trafics d’enfants dans l’adoption internationale,
alors que la France occupe en ce domaine le deuxième rang mondial. Ces trafics existent aussi à une échelle moindre à l’intérieur
du pays.
Le recueil de l’identité des parents de naissance et le droit
d’accès à la connaissance des origines personnelles apparaissent dès lors comme une des conditions permettant
de maintenir le fondement éthique de l’adoption. L’adoption serait à reconsidérer dans le sens de l’acceptation
d’une pluri-parentalité, du développement des « liens sociaux autour de la naissance » (Derrida) et même d’une
forme de solidarité. La cohérence du droit mènerait à modifier la conception de l’adoption plénière et à remettre en
cause l’anonymat des dons de gamètes.
En matière de coopération internationale dans le champ de l’adoption
certaines recherches cliniques et pluridisciplinaires devraient aujourd’hui se poursuivre, concernant :
- les conséquences des conditions traumatiques
du recueil d’enfants sur le développement des familles et des personnes , compte tenu de l’histoire
économique et politique mondiale de ces dernières décennies ;
- l’effet de la mise en application de
la Convention de la Haye sur l’évolution du nombre d’enfants nés sans filiation ; les éventuels problèmes
psychologiques et sociaux que posent ces mesures;
- les conséquences de l’anonymat des
origines sur les dynamiques familiales et pour le développement des personnes;
- les effets des retrouvailles tardives sur
les familles adoptives comme sur les parents de naissance.
Cette coopération, responsable devant les enjeux éthiques et politiques
de l’adoption internationale, permettrait de mieux orienter tant les pratiques sociales que les pratiques cliniques.
En 2002 une loi reconnut en France un fondement à ces mouvements sociaux.
Des obstacles idéologiques s’y opposaient, relayés avec ardeur par nombre d’intellectuels. Cette analyse se trouve
déjà partiellement développée dans Les Origines en Héritage(2) : ceux qui me sont les plus chers, ceux que j’ai cultivés avant de me rendre à l’expérience clinique
et de fouiller quelques tréfonds privés de mon âme, les obstacles pour finir les plus violents tiennent aux mythes laïques
et républicains qui structurent nos secrètes croyances : tous ces petits Romulus et Rémus, recueillis de
bateaux qui s’échouent chaque jour davantage sur nos plages, promis en principe à l’égalité de droits -
voire aux plus hautes charges de l’Etat - , tous ces Gavroche et ces Cosette violemment arrachés à leurs origines sont
potentiellement les héros, l’esprit même de la Révolution et l’incarnation vivante ses idéaux politiques.
Les Fantine(3) d’ici et d’ailleurs doivent savoir mourir anonymes, sans rien gravé sur
leurs tombes, et surtout pas le nom de leurs enfants. « Qu’un sang impur abreuve nos sillons »(4) … Les psychanalystes se sont longtemps rangés à cet avis : réaliser que
la République secrète sa pente totalitaire – Michel Foucault nous l’apprit pourtant magistralement -
est douloureux, et requiert une attention aux dynamiques collectives(5)!
Mais dans l’organisation de l’abandon anonyme d’autres
intérêts peuvent être en jeu, moins élevés, et même sordides. Au-delà des intérêts individuels conscients et des théories
rationnelles, nous sommes les jouets de tendances obscures, elles-mêmes portées par des mouvements collectifs. Ici l’évolution
de la famille et la mondialisation post-moderne changent notre regard sur la place des « origines » dans la
vie individuelle et collective.
Devant une évolution des pratiques sociales qui bouscule les pratiques
de recueil et d’adoption d’enfants (marquées par le développement de l’adoption internationale), qui bouscule
même leur sens, comment se dessine la responsabilité des analystes ?
I – des mouvements sociaux pour le droit à l’accès
aux origines personnelles
Résistance des cliniciens
Des mouvements sociaux pour « le
droit à la connaissance des origines personnelles», auparavant embryonnaires, se sont largement développés en France
ces dix dernières années. Ces mouvements dont on peut retrouver la trace dès la fin des années 60(6) ont vu leurs travaux reconnus par les pouvoirs publics à la suite d’un
remarquable travail inter-associatif, d’une large campagne de presse, de travaux scientifiques documentés. A la faveur
aussi d’un contexte politique et international particulier…
Le projet de loi visant à réformer l’accouchement anonyme légalement
organisé, dit « accouchement sous X »(7), présenté par Madame Ségolène Royal...
|